Par Jan Braet – Knack 2019
Jan Braet contemple l’Art et la vie, en fleur et en déclin, comme les roses. Cette semaine : l’expo Traveling Light de Marie Cloquet à la galerie Annie Gentils, Anvers.
Elle s'est rendue en 2005, descendant la côte ouest de l’Afrique en voiture, jusqu’à la baie de Nouadhibou, la deuxième plus grande ville de Mauritanie. C’est dans ces environs qu’en 1816 dérivèrent sur leur radeau les survivants d’une frégate coulée, scène qui inspira Théodore Géricault pour son célèbre tableau « Le radeau de la Méduse ».
Il est probable que les baraquements des réfugiés échoués à Nouadhibou, que certaines conditions proche de l'esclavage, un certain racisme et un islamisme radical n’ont pas échappé à l'observation de Marie Cloquet (43), mais c’est le pesant spectacle du gigantesque cimetière marin qui accapara toute son attention. C’est cette expérience accablante qui l'a ramènera l'année suivante - et plus tard encore quelques fois- au même endroit.
Filtrés par ses yeux d’artiste douée, ces amas de ferrailles désordonnés, déchirant la surface de la mer, et ces carcasses rouillées échouées sur les plages parmi les rochers, balayées par les vents et le sable, ont fait naitre chez elle le besoin impérieux d’esquisser et dessiner.
Il est vraisemblable qu’un William Turner (1775-1851) ait procédé de la sorte, poussé par l'attrait et la beauté de paysages préservés, prenant de rapides esquisses pour fixer des images, qui serviront au retour de voyage à créer des peintures lumineuses qui laissent imaginer ce que pourrait être le sublime.
Marie Cloquet a découvert la côte aux environs de Nouadhibou dans un état de délabrement et de désordre innommable. Un gigantesque amas de ruines, tant du point vue matériel qu’humain, mais permettant en tant que source de perceptions, des images aussi puissantes que les sommets enneigés et lacs bleu azur des Alpes, qui inspiraient Turner.
De retour de voyage, dans son atelier, elle a rassemblé ses esquisses de paysages morcelés, les a trié pour en composer des peintures qui transcendent par une sorte de laideur à couper le souffle, à même de dépasser en puissance la beauté. Cela résulte d’abord et surtout de ce que Cloquet, tout comme Turner, laisse en fait à la lumière la place prépondérante. Il y a de la lumière au ciel, mais aussi en enfer. Il suffit de la laisser pénétrer de la juste manière, pour que les choses perdent de leur poids et se fonde en illusions.
Voyez par vous-même en visitant l'expo « Travelling Light »
La laideur des toiles de Marie Cloquet semble surpasser la beauté.
Elle ne dessine ni ne peint de manière conventionnelle. Pour elle, dessiner signifie photographier en noir et blanc. Dans la chambre noire les images sont projetées en très grand format sur le mur afin de leur donner un aspect granuleux. Elle choisit certaines zones et les recouvre de papier épais enduit d'une émulsion photographique, créant une couche sensible à la lumière. Ces pièces, une fois exposées et développées dans différents bains, sont déchirées. Puis vient la phase que Cloquet appelle « peindre » : avec les fragments qu’elle a sélectionnés, elle compose une image monumentale qu’elle applique sur une toile de fond. Elle retravaille l’image en peignant, ou pour accroitre les contrastes entre ombre et lumière ( Traveling Light) ou pour appliquer de légères traces de couleur aquarellée. Ses toiles sont devenu de la sorte des peintures hybrides, des recompositions de paysages naturels inhospitalier qui sont le reflet de paysages intérieurs tourmentés.
C’est après la énième visite du site que Marie Cloquet s’est finalement libérée de Nouadhibou.
Ces épaves de bateaux finissait étaient devenues étouffantes. Peut-être a-t-elle réalisé qu’elle pouvait trouver ailleurs aussi le type de paysage qu’elle cherchait. Elle a découvert ces lieux en Normandie, en Iran, au Japon ou ailleurs, et est revenu avec des photos d’endroits en ruine et d’intérieurs sales, qu’elle a déchirées et soumise à un traitement de lumière invasif, puis regroupés en images intrusives où dominent une atmosphère de décrépitude et dégradation.
Comme habitée par une sensation baroque pour le drame - Remnants IV fait penser à une Descente de Croix de Rubens - elle montre de plus en plus de draps blancs en plis ou des parties de rideaux effilochés. Ce sont les seules traces de présence humaine, présence qui semblent avoir été débusquée avec violence.