Ce matin encore des images de guerres sont venues envahir mon quotidien. Des images d’histoire qui s’inscrivent insidieusement dans la mienne. Des images de plus en plus violentes, de plus en plus barbares pour réussir à s’extraire de la masse et devenir visibles. Ces images censées m’informer sont si nombreuses, les mêmes démultipliées pour illustrer les articles de presse, qu’elles en deviennent passagères. Réduites à un slogan d’accroche, elles sèment en moi le doute de leur provenance, de leur fonction,
de leur vérité. Comme si la guerre était un état immuable et interchangeable, dont la représentation correspondrait à un archétype ancré dans l’inconscient collectif. La guerre est réelle, mais sa réalité me fait défaut pour ne pas l’avoir vécue. Moi je ne suis que le témoin passif de ces atrocités sans cesse réitérées.
Partant du constat critique à l’égard d’images désincarnées et lissées par la diffusion médiatique, Lisa Sartorio s’empare de photographies de villes ravagées par les bombardements, issues de conflits contemporains depuis sa naissance (Guerres du Liban, du Vietnam, de Syrie, du Yémen, conflit israëlo-palestinien, ...).
Ces images sont imprimées sur papier Awagami kozo, support à la texture extrêmement fibreuse, que Lisa Sartorio travaille ensuite manuellement en surface, opérant divers traitements de l’ordre du gommage, du plissement ou encore de l’effritement.
En détériorant ces représentations de villes elles-mêmes décimées par les conflits, elle amène le regardeur à l’épiderme de l’image, comme une surface pelée, fragile et réactive. En modelant l’image de ses doigts, elle convoque dès lors de nouveaux signes. Elle charge le papier d’une expérience, lorsque dans sa planéité, la photographie ne suffisait plus à évoquer l’histoire d’un moment tragique.
De ces histoires fugaces, dont les traces et stigmates tendent inévitablement à s’estomper de nos mémoires parce que
non vécues, Lisa Sartorio propose d’en restituer une forme matériellement sensible et impactée. La série Ici ou ailleurs redouble dès lors l’effondrement de la représentation des conflits contemporains par la photographie médiatique. Elle restaure notre considération de l’autre et du vivant, en interrogeant par
le sens du toucher, la distance prises avec ces images.